Digital & bien-être au travail - Interview de Clarisse Pamiès d'Open Mind

Bien-être au travail, anti-burn out : Comment les neurosciences peuvent aider à la prévention de la santé mentale ?

Introduction

Open Mind Neurotechnologies est une start-up française qui a débuté son activité en 2016. Cette start-up est spécialisée dans le développement de nouvelles technologies pour identifier et évaluer le bien-être d’une personne au sein d’une entreprise, en utilisant des neurosciences et des coach certifiés. Nous avons rencontré Clarisse Pamiès, qui est la directrice générale.

Digital & bien-être au travail – Interview de Clarisse Pamiès d’Open Mind
Digital & bien-être au travail – Interview de Clarisse Pamiès d’Open Mind

Open Mind Neurotechnologies

PBE : Pouvez-vous, vous présenter et présenter l’entreprise ?

Je suis Clarisse Pamiès, la CEO de Open Mind Neurotechnologies. Je suis arrivée chez Open Mind depuis plus d’un an. Je viens du monde de la santé, j’ai travaillé au sein de l’état, le ministère de la Santé et j’ai travaillé pendant 8 ans chez Johnson et Johnson, j’étais directrice digitale.

Chez Open Mind, on essaye d’utiliser le meilleur du digital, de la data. On va utiliser des capteurs, des jeux et de la réalité virtuelle, de la technologie combinée ensemble dans l’objectif d’apprendre à mieux se connaître et à développer certaines fonctions autour des émotions, de la connaissance de ses émotions, la régulation émotionnelle, qui est un domaine de la neuroscience qui permet d’écouter et de prévenir le burn-out entre autre, même si nous visons d’autres choses. L’idée est d’augmenter à la fois la performance et le bien-être.

PBE : Comment vous est venue l’idée de travailler sur les neurosciences dans le but de prévenir le burn-out en entreprise ?

C.P : C’est le fondateur Guillaume Victor-Thomas, qui est un entrepreneur à succès depuis les années 90. Lors de sa dernière expérience, qui s’est passée dans un contexte difficile (un retournement de marché), il s’est rendu compte qu’il perdait un peu l’usage de ses capacités cognitives, qu’il n’arrivait plus à se concentrer, qu’il était vraiment attaqué. Il s’est posé pas mal de questions, à ce moment-là en 2014. Il s’est dit que c’était incroyable que cela lui arrive et qu’il n’avait rien vu venir. Il était en train de faire ce qu’on appelle un burn-out.

Donc, face à ça, comme c’est une personne qui vient du digital, qui a déjà monté des entreprises, il s’est dit que ce n’était pas possible que la technologie ne puisse pas aider à développer ses défenses naturelles. Sauf que lui, il ne s’y connaissait pas. Il s’est entouré de neuroscientifiques, de spécialistes de jeu vidéo et de la donnée. Il a commencé par toute une phase de recherche et développement qui a commencé par aller regarder ce qui se passait à la Silicon Valley. Puis petit à petit, en faisant des collaborations scientifiques, avec des labos du CNRS [Centre national de la recherche scientifique], avec l’institut de recherche biométrique des armées, l’équipe a construit des outils. Ce sont ces fameux outils que l’on met dans les mains des entreprises, des collaborateurs et des managers, mais aussi via des experts que ce soient des coachs ou des psychologues en entreprise qui utilisent nos outils pour aller plus loin et mieux faire leur travail en amont.

C’est vraiment de la prévention. C’est compliqué de faire de la prévention, car beaucoup de personnes ne se sentent pas concernées. Donc il faut mettre cette solution dans des programmes, par exemple, on met ça dans des programmes de développement du leadership ou management, parce que selon nous, c’est le bon vecteur où on va avoir une approche complexe, si on arrive avec quelque chose qui est trop tourné santé alors que les gens ne sont pas malades, cela ne marchera pas. C’est le choix que nous avons fait.

PBE : Vous utilisez la réalité virtuelle, les serious games, ainsi que le biofeedback afin de voir et de comprendre comment le corps réagit face à des situations de stress. En quoi ces technologies révèlent-elles plus de choses sur nous, que simplement le fait de parler de nous-même ?

C.P : L’avantage du jeu, c’est que l’on peut tester sur plein de personnes et après comparer les personnes entre elles, il y a de la donnée. Ce qui est intéressant avec la donnée, c’est ce qui est couplé avec des analyses de temps de réaction et donc un traitement statistique par machine learning, ce qu’on appelle communément l’intelligence artificielle, mais c’est un champ qui englobe énormément d’analyses statistiques différentes. Donc l’idée, c’est en mettant la personne dans des jeux, c’est ce qu’on appelle des environnements écologiques, on va observer la personne dans une situation et on va pouvoir observer 2 000 personnes dans la même situation et du coup comparer les données entre elles. Ça, c’est le premier intérêt du jeu. D’ailleurs, nous n’avons pas inventé les jeux, ce sont des protocoles, que ce soient ceux d’évaluation ou des protocoles de remédiation, c’est-à-dire d’apprendre à faire mieux. Ce sont des éléments qui ont été publiés en littérature scientifique. Nous avons fait par choix, chacune des fonctions qu’on voulait mesurer ou développer, on va regarder tout ce qui a été écrit dans la littérature, on va choisir un protocole qui a été publié au moins une vingtaine voire une centaine de fois et sur lesquels il y a des données de recherches.

Le deuxième intérêt, c’est qu’encore une fois le problème dans le bien-être et notamment toute la problématique du bien-être mentale, la prévention des troubles pathologiques en santé mentale, c’est qu’en général, il y a un déni qui est inhérent, on ne connaît pas très bien ces sujets-là dans le grand public, c’est quelque chose que l’on n’a jamais appris à l’école. On a des cours d’éducation sexuelle et affective, mais on n’a jamais eu de cours de santé mentale. Donc ce sont des choses qui aujourd’hui sont très peu abordées. Alors qu’il y a beaucoup de choses qui sont connues dans la littérature. Il y a un écart très fort. Si vous dites à une personne d’aller voir un psy, pour 80 % c’est encore un acte de courage, c’est quelque chose que l’on fait, mais très tard dans le parcours de soin. L’idée est de, par le jeu, amener la personne là où elle n’irait pas naturellement. Ça a un vrai impact en termes d’engagement, car toute personne peut jouer à un jeu et le fait d’avoir des données objectives sur comment son corps a réagi, ça crée une prise de conscience que nous n’avons pas en faisant uniquement parler la personne.

PBE : Si par vos données, vous vous rendez compte qu’il y a une personne qui est dans une situation compliquée émotionnellement, dont elle ne se rend pas forcément compte. Qu’est-ce qui se passe à ce niveau-là ? Ce sont vos coachs et vos psychologues certifiés qui vont ouvrir le dialogue ?

C.P : Oui, ce qui est important pour nous, c’est d’avoir une combinaison bien articulée entre la technologie et l’humain. Nous sommes sur un sujet qui est fondamentalement humain, mais le tout humain, c’est dommage, car on se prive de toute la technologie et le tout technologique ce n’est pas engageant non plus. On voit que les programmes qui utilisent par exemple uniquement le e-learning ou des moyens pour avoir un coach ou un psychologue dans sa poche aujourd’hui, ce sont des choses qui ont des taux d’abandon qui sont très élevés, donc ça n’apporte pas grand chose en terme d’impact. Notre pari, c’est vraiment de combiner les deux. Ce sont des choses qui sont prouvées dans la littérature. D’ailleurs en santé, ce qui est éducation thérapeutique, autonomisation du patient, c’est vraiment une solution qui est technologique.

Ce qui est bien prouvé, c’est qu’il y a des taux d’abandon assez forts, s’il n’y a pas d’intervention humaine. C’est ce qui est apporté par les professionnels certifiés. Après cela dépend du cadre de figure, si on intervient pour des gens qui ont des risques psychosociaux. On travaille dans des prestations, par exemple pour Pôle emploi, nous travaillons sur des prestations emploi santé qui permettent d’accompagner les demandeurs d’emploi qui sont les plus loin de l’emploi, parce qu’ils ont des problématiques de santé à régler qui finalement les bloquent dans leurs recherches. Là, c’est évident que ce sont plutôt des psychologues parce qu’on est vraiment dans le fond de la santé déjà, on est dans la pathologie, ce sont des gens qui ont des blocages. Après, la grande majorité des gens qui sont en entreprise, ne sont pas à ce niveau-là, il y en a forcément, mais l’enjeu est d’intervenir avant. C’est pour cela que l’on fait le pari des coachs, des formateurs en soft skills, parce que ce sont des gens qui sont dans cette phase amont, avant qu’il y ait des problématiques. Cela, afin de pouvoir accompagner les personnes à mieux se connaître et vraiment développer la bonne analogie, développer ses défenses naturelles, quelque part, on donne à la personne son mode d’emploi et on lui donne quelques boutons afin d’éviter la panne.

PBE : Les coachs certifiés interviennent-ils pour compléter les soft skills qui ne sont pas présents ou est-ce que c’est seulement pour des soft skills qui sont présents, mais pas dans leur pleine capacité ? Vers quoi vont-ils se tourner ?

C.P : En fait, l’idée, c’est d’avoir une photographie, un mode d’emploi de comment on fonctionne, des choses qu’on n’a pas apprises sur les bancs de l’école. Quand on parle de régulation émotionnelle, de régulation cognitive, d’adaptation à l’incertitude, évidemment, ce sont des soft skills, des choses que l’on va utiliser en entreprise. Ce sont aussi des fonctions qui vont intervenir pour le développement des troubles de santé mentale. C’est vraiment deux faces d’une même pièce. Pour nous, c’est difficile de séparer la santé, de la santé mentale qui a une telle interférence concrète dans ce que l’on est. Cette photo va donc être en trois grandes parties, on va aller regarder (c’est le modèle de l’OMS de 2003), les compétences émotionnelles, les compétences cognitives, notamment ce que l’on appelle nous l’agilité cognitive, est-ce que je m’adapte à l’incertitude ; Est-ce que je planifie ? Est-ce que je sais mobiliser la créativité ? Est-ce que j’ai la capacité de m’ouvrir à toutes les informations que je reçois ou je me bloque quand il y en a trop ? Et puis le troisième champ, c’est les interactions sociales et notamment les interactions sociales authentiques, c’est-à-dire celles qui créent vraiment des liens émotionnels avec les gens, il y a l’empathie, il y a la capacité à s’inclure dans un groupe, etc. On a un modèle pour ces trois grandes familles de compétences, on a 13 compétences qui se raccrochent à ces trois familles. Cela va dépendre pour chaque personne, où est-ce qu’elle veut travailler, où est-ce qu’on a des choses que l’on peut vraiment entraîner.

Par exemple, on peut s’entraîner parfois dans les conditions pour être dans une bonne performance, on peut savoir quelles sont les bonnes conditions pour être créatif, mais on ne va pas forcément développer sa créativité, mais plus les conditions qui sont autour. Et il y a des fonctions qui sont directement entraînables comme la régulation émotionnelle, puis notamment l’intéroception, qui est la capacité à être conscient de ce que l’on vit au moment donné, ses émotions, les réactions de son corps. C’est une fonction qui est très importante dans le fait de prévenir le burn-out. Tout va dépendre de la photo initiale et des objectifs de la personne.

De toute façon, si on a une faible intéroception, une pas très bonne connaissance de ses états émotionnels, à un moment donné, c’est quelque chose qu’il faut développer, parce qu’on peut le développer. Après, sur certaines compétences, cela va dépendre de la situation de la personne, tout le monde n’a pas le même besoin sur chacune des compétences ou des défenses naturelles. C’est vrai que l’on va vraiment forcer sur les fonctions qui sont les défenses naturelles, quelle que soit l’appétence de la personne vis-à-vis du burn-out, de la surchauffe, ou vis-à-vis du désengagement, mais après pour les autres cas, c’est un peu plus à la demande. C’est en fonction du projet de la personne, de son job, de sa situation personnelle et c’est plutôt discuté avec le coach.

PBE: Quels sont les avis, les états d’esprit des personnes qui ont fait ce coaching ? Sont-elles contentes du programme ?

C.P : Oui, elles sont contentes à plusieurs titres. C’est un programme expérientiel qui est un mix de plein de choses. On utilise tous les leviers d’apprentissage en même temps, on va faire vivre des expériences ; on va avoir de la réflexivité avec les données ; on va avoir également des exercices quotidiens avec des routines à mettre en place via notre app ; on va avoir dans les programmes ce qu’on appelle des workshop, des pods collectifs où à partir des données anonymisées du groupe, chacun va pouvoir prendre un cran de prise de recul par rapport à ses propres données et par rapport à l’entreprise. C’est là l’intérêt de la technologie, ce que nous disent nos clients, c’est qu’on est capable d’aller deux fois plus vite que ce qu’ils ont dans les autres programmes, parce que l’on a toute cette combinaison avec de l’humain et de la technologie, du pas à pas, de l’expérience. De manière quantifiée, comme on mesure des choses, on est capable de mesurer notre impact. On est capable de se démarquer par rapport à la littérature, dans notre programme, on est capable de réduire en moyenne, l’anxiété de 35 %, ce qu’on a pu démontrer pendant le covid. On permet aussi d’augmenter de 20 points les liens émotionnels, la capacité à sourire aux autres, à créer ce qui est extrêmement important dans une équipe, mais aussi pour le bien-être. On a augmenté de 20 points, la capacité à être plus focus dans sa vie, dans ses objectifs, ce qu’on appelle la concentration dans le sens large et la plupart des problèmes de concentration sont liés à des problèmes de stress, par exemple ce qu’on appelle le mind wandering, le vagabondage mental. Ça a un impact holistique à tous les niveaux qu’on est capable de mesurer. C’est ça l’intérêt, car dans les autres programmes, il n’y a pas cette mesure aussi précise.

La prévention sur le bien-être et la santé mentale

PBE : Est-ce que vous avez remarqué un changement depuis le covid, un déclic de la part des entreprises vis-à-vis des aides qu’ils peuvent apporter pour éviter le développement de burn-out, de dépression ?

C.P : Je parlerais plutôt d’une prise de conscience progressive. C’est sûr que le covid a eu un impact, les entreprises voient maintenant les conséquences du burn-out, mais ce n’est pas la seule conséquence. Nous, on a mesuré une étude d’impact sur nos données (1). On a mesuré que beaucoup de gens, dans nos données de personnes qui passaient des accompagnements, avaient des marqueurs plus importants de burn-out. On voyait notamment qu’il y avait un écart, les gens avaient l’impression de mieux gérer le stress quand on leur posait des questions, mais on mesurait autre chose dans leur corps. Cet écart, entre le ressenti et le subjectif, est un marqueur prédictif du burn-out. On l’a vu et les entreprises le voient aussi parce qu’il y a les cas de burn-out qui ont doublé. La santé mentale n’est plus un tabou dans l’entreprise. Les entreprises voient aussi d’autres conséquences qui sont liées et qui sont un peu comme un syndrome de stress post-traumatique collectif, les gens se renferment sur eux-mêmes. Ce n’est pas lié qu’au télétravail, c’est vraiment le télétravail combiné avec un état où l’on se replie un peu sur soi. On a quand même mesuré qu’il y avait une perte des liens sociaux d’une valeur de 9 points, avant et après le covid, ce qui est énorme. Les entreprises ont moins de peine à investir.

Après, je pense qu’ils sont un peu perdus face à l’offre en face d’eux. La première chose vers laquelle ils se sont rués, c’est de mettre en place une ligne d’écoute. Ce qu’on observe chez nos clients c’est qu’il y a peu de gens qui utilisent ces lignes d’écoute. Cela reste nécessaire, mais ce n’est pas suffisant. À un moment ils se disent “Qu’est-ce que je peux faire de plus ? Quel est mon rôle ? Est-ce que je peux aller plus loin ?“. C’est pour cela qu’on a vraiment souhaité mettre ça sur un angle de talent développement, le développement des compétences parce que c’est un très bon vecteur pour ne pas avoir uniquement un programme de santé mentale, qualité de vie et bien-être, qualité de vie au travail, mais vraiment aller plus loin, travailler de manière holistique sur la personne, comment elle se sent ; comment elle interagit avec les autres ; comment elle travaille et comment elle développe les défenses naturelles face à un environnement qui de toute façon est plus incertain. C’est difficile, cela devient trop pour nous tous. On pense que cela doit devenir un socle commun dans le but de formation en entreprise. Ce n’est pas juste avec du e-learning et des conférences qu’on arrive aux résultats, il faut mobiliser différents leviers d’apprentissage, ça passe par des expériences ; ça passe par de la mesure ; ça passe par de l’échange avec les pairs.

PBE : Vous parlez de prévention, pensez- vous qu’il faudrait la faire au collège et au lycée ? Est-ce que votre entreprise a dans l’idée d’utiliser sa technologie pour permettre aux collèges et aux lycées de la tester, afin d’aider les adolescents à contrôler leurs émotions, leur stress, mais aussi pour les aider à préparer leur avenir avec les soft skills qui sont importants sur le marché du travail ?

C.P : C’est vrai qu’on observe que plus on est jeune et moins on a de connaissance de soi, on le voit dans nos données. On compare les gens qui ont 50 ans et les gens de moins de 30 ans. On peut se demander si c’est normal, est-ce que je réagis plus ou moins que les autres ? Finalement, on s’apprivoise tout le long de la vie. Notre pari, c’est de l’accélérer, donc aujourd’hui, on a des outils qu’on essaye de mettre à disposition, on est en pleine prospection en ce moment auprès de lycée. Il ne faut pas non plus y aller trop tôt, il faut quand même qu’il y ait une compréhension de ce que c’est. Nous n’avons pas le choix, on est obligé d’accélérer cet apprentissage, parce que le monde ne nous laisse pas trop le choix. On voit d’ailleurs que ce sont les gens qui sont parmi les plus touchés par les problèmes mentaux, parce qu’ils sont relativement désarmés, ils n’ont pas cette carapace que l’on se crée au cours de la vie. Nous, d’un point de vue d’ambition sociétal, on veut vraiment en parler le plus tôt possible. Et c’est vrai que le jeu est particulièrement adapté à cette cible.

On a fait une expérience avec Pôle emploi sur des demandeurs d’emploi notamment jeunes et sans diplôme, et c’est là où nos outils ont vraiment eu un impact très fort, car ça leur permettait de mettre des mots sur comment ils fonctionnaient et quelles étaient aussi leurs ressources pour faire face à l’incertitude face à une situation professionnelle. On fait le pari qu’effectivement la jeunesse, c’est là où il faut aller en priorité. On essaye de s’organiser là-dessus.

Les nouvelles technologies - Neurosciences

PBE : Est-ce que votre produit est considéré comme une Digital Therapeutics (DTx) ?

C.P : Pour être DTx, il faut vraiment être dans le parcours de soin, on fait le choix d’aller avant la partie médicale. Après, on utilise exactement les mêmes technologies que celles utilisées par les gens dans le traitement de l’anxiété, dans la dimension pathologique. Là, c’est vraiment une question de fonction et de développement et on veut aller le plus tôt possible et le plus fort possible, car on n’a pas envie d’attendre que les gens soient malades. On sait aussi que développer un trouble, par exemple du stress, de l’anxiété, de la dépression, est associé à une plus grande prévalence de risque cardio-vasculaire, immunologique, on a beaucoup de comorbidités qui sont associées à l’anxiété et à la dépression. On fait le pari de la santé 4 P (préventif, prédictif, personnalisé, participatif).

Je fais partie de l’institut sapiens qui est un think-tank [groupe de réflexion privé qui réalise des études sur des sujets de société] et l’observatoire santé et de l’innovation. On innove et on essaye de faire bouger le système, de faire prendre conscience qu’il faut aller vers cette médecine 4 P et que l’innovation quelle qu’elle soit, dans la recherche, dans les DTx, c’est le gisement incontournable. À un moment, on ne va pas pouvoir mettre toujours plus d’argent sur la table pour soigner des gens, il va bien falloir mettre de l’argent sur la table pour éviter qu’ils développent des pathologies. Il y a des domaines de santé vers lesquels on a fait des mouvements vers cela, que ce soit la prévention au niveau du cancer avec les mammographies, avec les dépistages colo-rectales, mais c’est uniquement pour certaines pathologies, il faudrait le généraliser sur plein d’autres pathologies et notamment sur la santé mentale parce que l’enjeu est là. C’est quand même beaucoup plus difficile de guérir, une fois que la pathologie est installée.

PBE : Donc vous voudriez couper la racine avant qu’elle ne pousse ?

C.P : On a des moyens aujourd’hui, encore une fois de développer ses défenses naturelles, face à l’incertitude, face à un monde qui est strié et qui ne va malheureusement pas dans le bon sens. Face à l’anxiété climatique, c’est un mal qui en chasse un autre, voire même qui coexiste. Donc ça, personne n’y est à l’abri. Et particulièrement, les 90 % de personnes qui n’ont pas de notions sur comment leurs corps fonctionnent, de comment leurs systèmes nerveux autonomes fonctionnent, comment leurs régulations émotionnelles fonctionnent et où sont les leviers pour être un peu plus “en contrôle » ou en tout cas, les capacités pour ne pas tomber dans le versant pathologique. Bien sûr, ça ne marche pas à tous les coups.

PBE : Concernant les nouvelles technologies, comment voyez-vous l’avenir concernant les projets de neurotechnologies, par exemple le projet Neuralink d’Elon Musk, qui est d’ajouter des implants cérébraux d’interface neuronale directe. Est-ce que ce sont de nouvelles perspectives ?

C.P : En fait, il faudrait plutôt ne pas penser que toutes les neurosciences, sont pareilles. Alors, oui, c’est un champ, mais là, on est sur quelque chose de très extrême avec une invention complètement différente. Tout ce qui est implant, tout ce qu’on appelle neurofeedback aussi avec les technologies des ondes qui ont les capacités d’agir sur un phénomène comme le sommeil, aujourd’hui, c’est un échec, je tiens à le dire, toutes ces technologies, même les start-up qui sont allées assez loin, se sont basées finalement sur très peu de littérature. Je pense qu’il faut faire le tri, il y a effectivement des intentions qui sont différentes, avoir l’intention de mettre une puce dans le cerveau pour aller augmenter les capacités cognitives ou le niveau un peu moins invasif, c’est aller traiter par le son ou par les ondes, ça reste des choses qui ont une intention extrêmement différente voire opposée à ce que l’on fait.

Nous sommes plutôt dans l’idée d’utiliser le savoir des neurosciences pour le restituer à la personne. Ce n’est pas tout à fait la même chose que de supplanter ou d’augmenter de l’intérieur un cerveau. Pour moi, c’est la différence comme pour les gens qui font du clonage et les gens qui font de la chirurgie endoscopique pour restaurer un organe. Ce n’est pas du tout la même intention. Ok les deux sont de la médecine, mais il faut bien séparer les choses et pour cela, il faut que les gens comprennent ce qu’il y a dans les neurosciences, c’est un corpus et on peut l’utiliser différemment.

Les neurosciences sont utilisées aussi dans le domaine des réseaux sociaux, neuromarketing, ce qui permet de mieux comprendre comment les personnes réagissent dans certaines situations. Donc, en soi, il n’y a pas de limites éthique à ça, mais il n’y en a pas non plus même si on a fait exactement la même chose dans une intention positive (comme redonner connaissance en soi, donner un mode d’emploi des pistons à actionner pour toute personne.). Je pense qu’il faut beaucoup juger les choses par rapport à leur intention et je pense que c’est là que l’éthique doit intervenir. On ne fait rien à l’insu des personnes, ce qu’on fait nous, c’est des expériences pour que les personnes aient de la flexibilité sur leurs données. Ce qui est extrêmement différent que d’utiliser les neurosciences pour faire acheter plus ou que le domaine médical de faire des interfaces cerveau-machine à l’intérieur du cerveau.

PBE : Cela fait quand même penser à de la science-fiction, vous dites que pour le moment ce n’est pas encore possible. On se dit que c’est quelque chose que l’on verrait dans les films alors que certains y travaillent quand même.

C.P : J’ai une grande théorie, qui reste la mienne, en tant que directrice digitale dans une précédente boite et précédente vie : tout ce qui peut être digital, va être digital. À un moment, ça va être très difficile de mettre une barrière si on ne va pas aller explorer tel champ, il y aura toujours quelqu’un qui le fera même à l’autre bout du monde. Donc l’enjeu, c’est de mettre des barrières éthiques. Je pense qu’on devrait avoir beaucoup plus de discussion sur l’accessibilité éthique et accepter parfois de faire des choix qu’éthiquement, on refuse. C’est le pouvoir du législateur, une éthique doit se traduire en une législation, et c’est aux législateurs de ne pas accepter. Dans tous les domaines, notamment liés à la médecine et à l’Homme, que ce soit dans la procréation ou dans le clonage, ce sont des choses auxquelles on a mis des barrières, car on sait le faire. Il ne faut pas avoir peur de la technologie mais il faut avoir peur de la décision politique et éthique qui soit au rendez-vous. C’est là où il faut mettre notre effort.

PBE : Donc il faudrait faire évoluer les lois en fonction de toutes ces nouvelles technologies qui sont en cours de développement ?

C.P : Il faudrait qu’on ait un temps d’avance, que ce soit un cadre d’étude partagé, il ne faut pas se sauver d’un débat et c’est là que ce n’est pas facile. Il faut mettre des conventions citoyennes, on ne peut pas, ne pas être au rendez-vous de ces discussions éthiques et de la législation correspondante. La technologie, elle est là et le savoir humain, c’est quelque chose d’infini, et la quête du savoir aura toujours aucune limite. Ce n’est pas là-dessus qu’il faut mettre son stress, il faut le mettre sur la législation.

PBE : C’est vrai que ça peut faire peur comme dans la littérature beaucoup de livre en parle, ça reste des livres mais ça peut devenir plausible et donc ça peut faire peur, surtout si on ne s’y connaît pas.

C.P : C’est pour cela que les personnes ont besoin de développer leurs connaissances et leurs réactions face à l’incertitude. Le sujet d’anxiété, on n’a encore rien vu. Imaginons que notre monde devienne de plus en plus instable avec toujours plus de sujets d’anxiété (qui sont déjà là si on veut se faire peur), à un moment, on n’a pas d’autres choix que de développer ses défenses naturelles. Nous ne sommes pas les seuls à proposer des solutions, il y en a évidemment d’autres et il y a d’autres choses à faire. Il y a plein de manières de gagner en prise de recul, en capacité d’analyser à froid pour éviter ce court-circuit de la peur et de l’anxiété qui génère des décisions biaisées. C’est le système 1 et système 2 de Kahneman (2). C’est une compétence essentielle que de comprendre comment notre cerveau fonctionne, les réactions humaines face à un environnement incertain anxiogène où là, on le voit devenir beaucoup plus affûté.

Conclusion

De nouvelles technologies sont utilisées chaque jour pour diverses raisons. Le bien-être est un sujet dont on entend de plus en plus parler. Depuis la pandémie, une prise de conscience a émergé, que cela soit de la part des entreprises ou de la part des particuliers. La prévention contre les burn-out et autres maladies mentales sont donc une des clefs pour éviter tout risque. L’autre clef est de connaître son fonctionnement pour développer ses défenses naturelles face notamment au stress. La formule de Socrate “connais-toi toi-même” résonne encore.

Sources

  1. Omind.me : L’impact de la crise sanitaire sur les cadres – Webinaire
    Etude d’impact post-covid : Le corps & les émotions au cœur de la performance post-COVID
  2. Système 1 / Système 2 : Les deux vitesses de la pensée, par le psychologue spécialiste en psychologie cognitive et économie comportementale Daniel Kahneman, prix Nobel d’économie en 2002.